La Gazette des 9, le journal de Rosheim et du Piémont des Vosges

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Le printemps en Alsace, de Rose de Buci.

Voilà plus de quarante ans que je parcours les printemps et que chaque jour de cette intime saison m’offre sa plus délicieuse danse. Je me promène dans l’arc-boutant en ciel de ses couleurs et je me laisse bercer dans le creux de ses paysages, avec l’œil d’une biche à l’affût, prête à célébrer chaque nouvelle aube comme une ode à la vie.

Dans cet espace qu’est ma terre, rien ne bouge pourtant, mais tout mue jusqu’à l’artifice.
Par ici, je retrouve mon arbre qui pleure en saule et qui accroche à ses branches délicates de nouvelles larmes vertes opalines. Par là, j’assiste à l’enfantement d’une fleur fille de cerisier mère qui donnera naissance à son fruit le plus juteux, qui s’offrira lui-même en sacrifice à l’autel de ma main.
Un peu plus loin, les danseuses perchées sur la pointe des pieds d’un magnolia, déploient leurs tutus roses et blancs. Les pétales s’en iront danser au vent et retomberont en cygne sur le lac de la terre promise à de nouvelles danses.
À ses pieds, une jonquille soleil narguera la rigide tulipe au rouge éclatant et la rose bientôt naîtra pour offrir son bourgeon à un bourdon avide de son goût.

Mes champs en lisières, encore engourdis par le froid de l’hiver, s’étalent sur le flanc des horizons ensoleillés pour accueillir une graine d’un maïs rigide ou de blé tendre. Et puis il y a mes vignes, entourant mon berceau qui s’éveille à l’amour. Elles sont encore en sommeil sur les coteaux en pentes douces et n’entreront dans la danse des saisons en tableau qu’au troisième acte de vie.
Perpétuel balancement du rythme des jours, les pourpres s’affichent, les jaunes éclatent, les verts se déclinent et mes ciels investis de nuages soldats ou de nuages lait font parfois révérence à l’azur ou au profond d’un bleu.
Je souris à cette saison que je croque à plein cœur, je m’émeus d’un rêve qui cherche sa réalité, je me dénude parfois pour honorer mes terres.

Si j’étais la maîtresse du printemps, je voudrais qu’il fasse pousser en mon ventre une fille que nous appellerions Eden. Je mettrais dans ses cheveux la couleur du soleil, dans ses yeux la couleur du ciel, et je lui cueillerais la lune, offerte en croissant à ses sourires.
Elle porterait à ses joues un rose délicat, des lèvres couleurs de fraises et je lui apprendrais à mon tour à danser au rythme des saisons, à célébrer chaque jour comme si c’était le dernier, à aimer chaque matin comme si c’était le premier.
Mais je ne suis qu’une sœur, âme de printemps, fille d’été, épouse d’automne et mère d’hiver, familière aux saisons, aimante du temps qui passe et éphémère à la vie.

Voilà plus de quarante ans que je parcours les printemps et que chaque jour de cette intime saison m’offre sa plus délicieuse danse. 

© Rose de Buci via La Gazette des 9 - Toute reproduction autre qu'un partage intégral de l'article interdite.

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08/09/2015
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